
L’appel de saint Matthieu
Jésus vit en passant un homme assis au bureau des taxes, et qui s’appelait Matthieu. Il lui dit : « Suis-moi ». Cet homme se leva, et le suivit. Comme Jésus était à table dans la maison, voici, beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie vinrent se mettre à table avec lui et avec ses disciples. Les pharisiens virent cela, et ils dirent à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les gens de mauvaise vie ? » Jésus, qui avait entendu, déclara : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez, et apprenez ce que signifie : « Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices ». Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs ». (Mt 9,9-13)
Cet évangile est lu le jour de la fête de saint Matthieu, le 16 novembre. Il représente tout ce que l’on sait de l’apôtre et évangéliste dans le Nouveau Testament et les textes parallèles de Luc et Marc ne nous apportent rien de plus, sauf qu’ils le nomment Lévi, fils d’Alphée. Ce bref passage est placé au début de l’Évangile de Matthieu, après l’appel des quatre premiers disciples, Pierre, André, Jacques et Jean. Il suit le discours sur la montagne et s’intercale dans le récit de divers miracles de Jésus parcourant la Galilée. Le texte se résume en deux actes : l’appel de Matthieu et le repas dans sa maison.
L’appel
Matthieu nous est présenté assis à son bureau des taxes. C’est un fonctionnaire, sûrement plus lettré que les autres disciples, simples pêcheurs du lac. Mais c’est aussi un publicain chargé de percevoir les impôts au profit de l’état et de l’occupant romain. Ce type de personnage qui s’enrichissait souvent sur le dos de la population et collaborait avec l’occupant était détesté par la population.
La scène est brève, sans fioritures, cinématographique. « Suis-moi ! » dit Jésus et Matthieu se lève, abandonnant son argent, sa profession, sa vie antérieure.
Le Caravage a parfaitement illustré ce « moment décisif » dans son fameux tableau La Vocation de saint Matthieu où l’on n’identifie le Christ que par sa main, son doigt tendu vers Matthieu. Cette main est d’ailleurs une copie conforme de la main du Créateur dans la fresque de La Création d’Adam de Michel-Ange. Le futur apôtre est assis à sa table, dans la lumière, et se montrant lui-même du doigt semble dire « Moi ? ».
Quand le Seigneur appelle ses disciples, c’est immédiat, sans équivoque. Et nous-mêmes, rappelons-nous que nous avons été appelés un jour comme l’apôtre. Et nous avons répondu à cet appel. Nous n’avons peut-être pas tout abandonné, mais nous avons laissé une partie de nous-mêmes et de notre vie derrière nous à cause de cette rencontre personnelle avec le Christ. Notre foi n’est certainement pas une adhésion à un système de valeurs ou de rites : c’est le fruit d’une rencontre. Il est bon, dans les moments de difficulté, de doute, de se remémorer ce moment unique.
Le repas chez Lévi
La deuxième partie du récit nous raconte que Matthieu a organisé un repas. Est-ce un repas pour fêter sa nouvelle vie, pour dire adieu à ses amis, pour fêter Jésus, nous ne le savons pas. Par contre, les invités sont des « gens de mauvaise vie », probablement des publicains, des profiteurs, peut-être des prostituées, des voleurs, des malfrats, dirait-on aujourd’hui. Et le rabbi Jésus qui prêche en Galilée préférerait donc ces gens-là aux religieux, aux aristocrates, aux clercs, aux bien-pensants ? L’élite religieuse du moment va le lui reprocher.
Que dit alors Jésus ? Que les bien-portants n’ont pas besoin de lui et qu’il est venu pour les pécheurs. Et nous savons que notre mission sera de s’occuper d’eux. Encore une fois, le Christ renverse les valeurs de la société. Nous qui sommes si attachés à la splendeur et à la richesse de nos traditions liturgiques, n’oublions donc pas l’amour du prochain, du pécheur, du malade ; le sacrement du frère est aussi capital que n’importe quel office ou rituel.
C’est bien là le programme de l’Évangile et toute l’originalité de la foi chrétienne qui comme nous l’avons déjà compris, est plus qu’une morale, qu’un ensemble de valeurs ou qu’un mode de vie, voire d’une « religion » comme le disait le père Alexandre Schmemann. Et sainte Marie de Paris aimait à dire qu’au jour du Jugement, le Seigneur ne nous demandera pas combien nous avons fait de métanies, mais plutôt si nous avons donné un verre d’eau à celui qui avait soif.
Tâchons donc de retrouver la fraîcheur de l’Évangile et l’enthousiasme de l’appel que nous avons reçu. Ne restons pas confinés dans nos certitudes et notre confort moral et spirituel. Et bien sûr, et c’est peut-être le plus difficile, tournons-nous vers les pécheurs, les malades, les blessés de la vie qui ont tant besoin de miséricorde pour les aimer et leur faire connaître et partager l’amour du Christ pour tous.
DV